Environné par les marécages qu'il domine, le Mont-Dol fait écho au Mont-Saint-Michel, distant d'une vingtaine de kilomètres, qui lui est légendairement associé. Comme lui, il a été marqué par la lutte de l'archange saint Michel contre les agissements de Satan. Et, comme lui ou comme l'îlot de Tombelaine, il est héritier de la geste gargantuine.
Vue générale du Mont-Dol
- Marc DECENEUX, Le Mont-Dol - Histoire et légendes, Combourg, Atelier Juskenens, 1988.
- Marc DECENEUX, Bretagne sacrée et légendaire, Rennes, éditions Ouest-France, 1996.
- Marc DECENEUX, Contes et légendes du Mont-Saint-Michel, Rennes, Editions Ouest-France, 1996.
- Marc DECENEUX, Mont-Saint-Michel - Histoire d'un mythe, Rennes, Editions Ouest-France, 1997.
- Marc DECENEUX, « Le Mont-Dol, haut lieu du sacré », Ar Men n° 101, mars 1999.
- Marc DECENEUX, « Aux origines du Mont-Saint-Michel », Ar Men n° 110, mars 2000.
- Henri DONTENVILLE, Mythologie Française, Paris, Editions Payot et Rivages, 1973, 1998.
- Gwenc'hlan LE SCOUEZEC, Guide de la Bretagne mystérieuse, Paris, Tchou, 1966.
- Albert LE GRAND, Les Vies des saints de la Bretagne Armorique, 1636 - Quimper, J. Salaun, 1901.
Lieu cultuel de très haute antiquité.
Culminant à 65 mètres, le Mont-Dol correspond à une ancienne île autour de laquelle se sont développées des zones marécageuses. La baie qui l'entourait était autrefois le site de la forêt de Scissy, engloutie par la mer au VIIIème siècle et, selon la tradition, par la légendaire marée de 709.
Le Mont-Dol
Taranis
- A l'époque gauloise : Lecteren, soit un Lexo-Taranis, "lieu sacré de Taranis", ou encore une référence aux deux dieux celtes Lugo-Taranis.
- Dans un texte carolingien : Mons Jovis, « mont de Jupiter », qui déterminera une appellation « Mont-Joie ».
- Sur le plan légendaire, Gargantua et saint Michel.
- Saint Samson, premier évêque de Dol, qui christianise les lieux.
- Saint Magloire, son successeur, qui renonce à l'épiscopat et qui, retiré dans une grotte, poursuit l'oeuvre d'évangalisation de son maître.
La retraite de saint Magloire dans une grotte sur le Mont-Dol (vitrail de la cathédrale de Dol)
- La Saint-Michel, fin septembre.
- Autrefois, pèlerinages à la chapelle Notre-Dame-de-l'Espérance pour demander la pluie.
Dol désignerait en brittonique une plaine, une zone de marais, un « lieu bas et fertile », dont le nom aurait été reporté sur la hauteur du mont, tandis que Dauzat et Rostaing suggèrent un pré-latin *tull-, « hauteur ». On a aussi pu évoquer le breton taol,"table", qui a donné « dolmen », en référence à un monument mégalithique qui se serait autrefois dressé au sommet du mont.
La tradition préfère évoquer le dol, la douleur : celle d'un homme profondément affligé par la lèpre dont est atteinte sa femme et par le démon dont est possédée sa fille ; il accueille saint Samson qui arrive dans la région et qui en retour guérit l'une et l'autre. De même le menhir du Champ-Dolent, en tombant là, vient à bout d'un douloureux conflit qui depuis longtemps opposait deux frères.
C'est en 1870 que les roches sédimentaires du Mont-Dol ont révélé des os fossiles, que l'on a d'abord attribués à des baleines avant d'y reconnaître des os de mammouth Le site présente en fait des traces très anciennes d'occupation humaine. C'est un des rares lieux d'implantation paléolithique en Bretagne, où l'on a trouvé les restes de quelque 500 animaux, et il est apparemment demeuré un lieu consacré, puisqu'on a pu y déceler les traces d'un ensemble mégalithique formant une structure circulaire, avant que ne s'y développe un lieu de culte druidique.
Avec l'arrivée des Romains, le Mont-Dol s'est vu consacré aux cultes importés par ceux-ci, lesquels se sont superposés aux anciennes croyances et pratiques, jusqu'à ce que, sous l'influence de saint Samson, une certaine christianisation vienne y ajouter son propre vernis.
Le Mont-Dol a été très tôt, dès le VIème siècle, consacré par saint Samson à saint Michel, et ce n'est qu'ensuite, en 708, que ce culte s'est déplacé vers le Mont-Saint-Michel.
La cathédrale de Dol-de-Bretagne
Le menhir du Champ-Dolent
Maquette de l'un des deux autels tauroboliques du Mont-Dol, détruits en 1802 (mairie de Dol)
Châteaubriand, entre autres, parlait ainsi du Mont-Dol : « Du haut de ce tertre isolé, l'oeil plane sur la mer et sur les marais où voltigent pendant la nuit des feux follets, lumière des sorciers. » Et il est vrai que, de par sa situation même, il s'agit d'un lieu remarquable - mont isolé dans la plaine, au milieu des marais ou sur une île, avec la présence à son sommet d'un étang toujours en eau, alimenté par une mystérieuse source intarissable qui n'a pas manqué de susciter, à travers l'histoire, légendes et pratiques cultuelles.
Indépendamment de la préhistoire, qui demeure inaccessible, il semble avant tout s'affirmer comme le lieu d'un combat entre un héros/dieu céleste et foudroyant et les obscures forces du mal. Comme le note Marc Déceneux dans le n° 101 de la revue Ar Men, la foudre « manifeste la colère et l'intervention vengeresse du dieu face aux ruptures du bon ordre cosmique et social, aux transgressions commises par les hommes ou par les puissances maléfiques, chaotiques et destructrices de l'univers infernal. » Et par là-même elle assure « la fécondation de la terre-mère, pénétrée avec violence par les forces de fertilité du ciel ».
Le personnage de Satan semble bien réincarner l'antique dieu païen, qu'il s'agisse de Gargantua, de Belen, du Baligan de la tradition populaire ou de Jupiter/Taranis dominant le géant à terre, avec en perspective Sucellos, le « bon frappeur », armé de son marteau à double face qui d'un côté tue et de l'autre guérit ou ressuscite : le dieu des sommets contre le représentant des énergies telluriques. Et c'est saint Michel, le lumineux, qui, tout naturellement, va venir faire triompher l'ordre divin.
Les épisodes de combat ou de compétition avec l'archange représentent donc une actualisation du processus de christianisation, d'éradication des anciennes croyances dont ce lieu privilégié serait l'enjeu. Mais l'issue restera en suspens, incertaine. On dit que Satan demeure enfermé dans la faille que l'archange a, de son épée, ouverte dans le rocher : au fond du Trou du Diable que l'on peut toujours voir. Et l'Apocalypse (XX, 2-3.) elle-même ne résout pas le problème : « Il saisit le dragon, l'antique serpent qui est le diable et Satan, et il l'a enchaîné pour mille ans. Il l'a jeté dans l'abîme, il a fermé et scellé l'entrée au-dessus de lui, afin qu'il n'égare plus les nations, jusqu'à la fin des mille ans. »
Le processus de christianisation se trouve matérialisé par les trois croix que saint Samson est dit avoir gravées dans la pierre désignée comme Rocher du Diable, et ceci semble confirmé par la présence de croix pattées identiques inscrites sur un pilier de l'église, lequel semble bien être une pierre de réemploi : une portion de la colonne sur laquelle se dressait le Jupiter de l'ancienne religion ? Mais au-delà du simple combat entre paganisme et christianisme, on se trouve là en présence d'un lieu cosmique et sacré, d'un axe du monde qui met en relation le ciel et le monde des profondeurs, et où tout au long des siècles, et à travers les cultes successifs, se sont affrontées transcendance divine et énergies primordiales : la perpétuelle opposition - et complémentarité - entre régimes diurne et nocturne, élévation vers la lumière et fascination pour l'obscurité des profondeurs.
A ce culte solaire, et avant tout masculin, se greffe sur le Mont-Dol un culte féminin, celui de Diane dans l'Antiquité, auquel a succédé la Vierge Marie qui se trouve fréquemment associée aux lieux dédiés à l'archange.
Suivant la tradition populaire, et la configuration géographique, Marc Déceneux met en rapport le Mont-Dol avec le Mont-Saint-Michel ; ces deux lieux s'inscriraient dans un mythe de fondation faisant intervenir, conformément à la conception dumézilienne des trois fonctions, les personnages complémentaires de saint Aubert, « haut dignitaire de la classe sacerdotale », et de Bain, un « hercule gaulois », une « figure pré-chrétienne » à connotation militaire et guerrière.
Il convient également de noter la présence de saint Samson, qui s'installe en ermite sur le Mont-Dol, en compagnie de son disciple saint Magloire. Evêque au VIème siècle de la ville voisine de Dol-de-Bretagne - la cathédrale lui est dédiée -, il lui reviendrait l'initiative de consacrer à saint Michel un sanctuaire sur ce sommet en réinvestissant les ruines du temple mithraïque. Et il y perpétue, ou du moins fait écho au combat de saint Michel, puisque lui-même s'affirme comme un puissant sauroctone en maîtrisant notamment avec sa ceinture, dans l'île de Bretagne, un serpent dévastateur qu'il précipite dans les profondeurs de la mer.
Scènes de l'Enfer (fresque de l'église)
La colonne à l'anguipède
La colonne à l'anguipède
Marc Déceneux, de la SMF, pour ses précieuses informations et analyses